SPIP 75 : Amputations au Pôle Palais

Ou comment la direction donne une partie des mesures au privé associatif

Par les luttes passées de ses agents, et par volonté de la juridiction d’imposer le maintien du service public de l’insertion et probation au tribunal, le SPIP75 a la chance d’avoir su conserver une présence dans les locaux du tribunal (le Pôle Palais) pour le suivi en pré-sentenciel de personnes placées sous contrôle judiciaire (CJ). Cette prise en charge réalisée au plus proche du moment de la mise en cause et avant le jugement, tout en tenant compte de la présomption d’innocence, est particulièrement pertinente, c’est un moment propice au changement et à la remise en question, dont les SPIP ont, ailleurs, été malheureusement écartés.

En vertu d’un protocole signé en 2000 au sein de la juridiction parisienne, l’Association d’Aide Pénale (AAPé) prend en charge les CJ instruction et le SPIP prend en charge CJ avec convocation sur procès-verbal à une audience prochaine, ce qui n’empêche pas le SPIP d’être saisi par des magistrats instructeurs sur certaines situations particulières.

Mais voilà, nous apprenons progressivement début 2023, de manière informelle, que la direction du SPIP75 entend réouvrir les discussions sur le protocole de répartition avec l’association. L’objectif est de remettre en scène l’association comme acteur principal du CJ, réduire le champ de compétence du SPIP en matière de pré- sentenciel aux seuls dossiers perçus comme sensibles en abandonnant tout le reste à l’associatif, qui n’en demandait pourtant pas tant.

L’opération est présentée aux collègues comme la création d’un « Pôle d’Excellence » qui ne prendra que les mesures les plus complexes à la hauteur de ses compétences, ce qui est toujours flatteur pour l’ego.

Un projet fâcheux sur la méthodologie : une mise à l’écart de l‘équipe du Pole Palais

Une demande émerge depuis le début au sein de l’équipe du Pole Palais pour être entendue dans les travaux de renégociation du protocole qui concerne son périmètre d’action, et qui vont directement avoir un effet sur les conditions de travail au sein du Pôle : fin de non-recevoir de la direction. La tentative de l’un des agents de s’exprimer par un écrit détaillé auprès des directeurs a même été rejetée : pire, il a été convoqué pour s’expliquer chose qu’il a ressentie comme un véritable passage devant un tribunal.

Certains qui ont donné d’eux même pour maintenir la crédibilité du service et une qualité de prise en charge dans des conditions parfois difficiles, sont déçus, se sentent méprisés par la capitulation de leur direction qui souhaite confier, sans prendre le temps de l’explication, une partie de leurs missions au privé associatif. Pourquoi maintenir l’équipe à l’écart des discussions sur le protocole, en allant jusqu’à dire « qu‘il n’y pas de projet », et que de toutes façons « on cherche toujours un interlocuteur », alors que nous apprenons quelques semaines plus tard que des négociations sont bien en cours puisque le parquet a déjà proposé sa version du protocole, qui reprend les points essentiels portés au départ par la direction du SPIP ?

Après l’intervention syndicale de SOLIDAIRES JUSTICE, une réunion se tient le 11 mars 2023… La réunion permettra le tour de force de donner la parole aux agents, leur permettre de s’exprimer, sur la présentation faite par la direction d’un protocole, dont ils n’ont jamais vu qu’un extrait non définitif, et dont la signature pourrait intervenir très rapidement.

Il aurait pourtant été intéressant de reprendre point par point le protocole en faisant un tour de table. Transparence, écoute, émulation collective pour trouver les bonnes solutions… on peut toujours rêver.

Nous rappelons à la direction que les agents du SPIP ne sont pas des marionnettes, ce sont des humains et des professionnels qui ont besoin de donner du sens à leurs missions et participer à créer un environnement de travail qui leur est adapté et cohérent pour rester impliqués.

Si la Direction se veut rassurante, en évoquant un simple petit toilettage de réactualisation du protocole, c’est bien toute la nouvelle l’architecture de ce dernier qui pose question.

Un projet fâcheux sur le fond : petit tour d’horizon

Le court extrait du projet de protocole dont nous avons pu avoir connaissance entérine la transition vers une répartition ou l’association prend en principe tout SAUF, par exception, certaines typologies de mesures confiées au SPIP (les violences conjugales ou intra-familiales et les dossiers les plus sensibles/complexes). Ceci apparaît correspondre à la volonté de la direction du SPIP de remettre l’association en scène comme acteur principal du contrôle judiciaire à Paris, tout en faisant passer l’opération comme flatteuse pour le SPIP. Le caractère sensible ou complexe d’une situation, au moment où le JLD intervient reste une évaluation subjective selon les critères retenus. Le nouveau protocole remplace le critère objectif de la typologie de mesure, par un critère de complexité du dossier qui serait soit lié d’office à la typologie de l’infraction soit issus des éléments au dossier.

Il convient de rappeler à quel point la typologie de l’infraction n’est pas systématiquement corrélée au caractère sensible ou complexe d’une prise en charge. Les situations que la direction souhaite écarter du champ de compétence du SPIP par le protocole car perçus comme du bas de gamme de seconde classe (CEA, vol, stupéfiants, outrage etc. ) peuvent se révéler, après évaluation, plus complexes que prévu.

Pour le Pôle Palais, cette redéfinition du champ de compétence est donc un pari dont nul ne peut prévoir les conséquences à moyen terme sur le nombre de saisines, d’autant, comme le rappelle la direction elle-même, que le magistrat reste en définitive libre de saisir le SPIP ou l’association.

Pour l’administration, le nouveau protocole constitue en définitive un transfert du champ de compétence du contrôle Judiciaire avec convocation sur procès-verbal du Public vers le Privé qui facturera désormais sa prestation au ministère de la justice. Le public offre au privé sur un plateau une partie de son champ de compétence et les intérêts associés (en termes de poids, de surface, de considération, et d’image). Quand bien même cela serait une remise en conformité avec ce qui se fait partout ailleurs : ce n’est pas une raison pour faire les mêmes erreurs.

De la même manière que dans le domaine hospitalier, à travers cette répartition, le privé lucratif se voit positionné sur les actes faciles, peu risqués et rentables, tandis que le secteur public garde les situations compliquées, chronophages, et à risque de récidive élevé.
Si la direction tient à défendre les intérêts de l’administration pénitentiaire, pourquoi sacrifier une partie aussi sensible et unique de son périmètre de compétence qui lui permet d’avoir de la surface et donc de l’influence dans un lieu stratégique comme le Tribunal Judiciaire de Paris ?

Pour la puissance publique et sa responsabilité devant les citoyens, il y a la question de la bonne gestion des deniers publics et de l’organisation des acteurs de la justice pour une meilleure efficacité, au meilleur coût. Au moment où la question des moyens de la justice est récurrente dans le débat public, le véritable scandale de la situation réside dans les doublons de prise en charge : lorsque le ministère paie une association pour un suivi qui est en parallèle effectué par le service public pénitentiaire.

Le protocole conduit précisément à aggraver le nombre de ces situations, ce qui pourra faire le délice du prochain rapport de la Cour des Comptes.
Prenons le cas (récurrent), d’un jeune majeur qui fait son entrée dans les mesures pénales à travers le contrôle judiciaire pour une typologie d’infraction non sensible. Il ne vient pas aux convocations, puis se retrouve très rapidement de nouveau condamné et incarcéré pour une autre cause. La juridiction va saisir et payer l’association pour une mesure fantôme et une personne qui sera en réalité prise en charge par le SPIP en établissement pénitentiaire.

De plus, il n’est pas certain que l’association sera informée de l’incarcération comme nous pouvons l’être, que l’information pour prévoir une extraction sera transmise aux chambres, et qu’un rapport autre qu’un rapport de carence sera produit pour l’audience. Inversement, il n’est pas évident que l’établissement sera informé du CJ avec les potentielles interdictions de contact.

Conclusion : des dépenses redondantes pour l’état, et une déperdition en qualité et en efficacité.

Pour les personnes suivies, est-ce que ce nouveau protocole envisagé n’est pas factuellement une perte de chance ? Les collaborateurs de l’association n’ont pas l’habilitation sur le SIAO, ne peuvent prioriser des solutions de relogement justice, ne peuvent orienter vers le plateau technique du SPIP, n’ont pas accès au dossier judiciaire, riche d’axes de travail.

Si la direction tient à défendre la qualité de la prise en charge de tous les publics, et la pertinence de sa plateforme de l’inclusion et de la probation, il y a ambivalence à vanter la qualité de travail du service tout en donnant des centaines de mesures à une association qui ne dispose pas des mêmes moyens.

Pour les agents : il n’est pas certain que le renforcement d’une spécialisation sur les violences conjugales ou les dossiers complexes soit très attractive. Or, « la gestion des ressources humaines » sur le pôle demande une certaine stabilité, ne serait-ce que pour une raison de transmission des us et coutumes quant à son intégration au sein du tribunal et du savoir-faire sur ces mesures particulières.

Une mise à jour du protocole est certainement nécessaire, mais si la direction tient à l’indépendance des SPIP par rapport à l’ancienne tutelle hiérarchique des magistrats comme elle aime à le rappeler (ce qui était pourtant bien établi jusqu’à présent), pourquoi rouvrir les négociations sur des points qui laissent actuellement au SPIP une totale marge de manœuvre sur la prise en charge du pré-sentenciel ?

Au terme des négociations, le SPIP à tout à perdre à se voir dicter des process contraignants, chronophages, et se faire micro-manager dans sa manière de prendre en charge les mesures et de rendre compte sans cesse au parquet.

En résumé, est-ce bien pertinent de sacrifier les grands principes du service public qui sont les nôtres, ainsi que la vision globale d’un service qui se déploie pleinement à fois sur le pré et le post-sentenciel, en raison d’une faillite de l’administration en matière de gestion RH ?

A Paris il se trouve que le combat pour le maintien du service public dans le pré-sentenciel n’est pas perdu ! Que la direction, n’en deviennent pas des fossoyeurs.

Au regard du nombre de mesures actuel au Pôle Palais, il reste possible de tenir les deux bouts : ne rien céder du champ de compétence du service aux associations, tout en évitant que le SPIP soit submergé en introduisant un mécanisme de régulation des saisines avec les magistrats et l’associatif sur le nombre de mesures en cours.

Plutôt que de considérer le Pôle Palais comme une excroissance gênante, avec des agents qui seraient loin du siège et à la main des magistrats, nous invitons la direction à changer de vision pour considérer que le Pôle Palais est surtout un atout pour l’administration.

Au moment où les SPIP sont amenés à réinvestir le pré-sentenciel à travers une mesure comme le Contrôle Judiciaire avec Placement Probatoire, il est encore temps de renoncer aux renoncements pour construire avec les agents un projet cohérent et porteur pour le Pôle Palais du SPIP75.



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STOP AU MEPRIS ET AUX AUDIENCES LES JOURS FERIES

[ Communiqué intersyndical des organisations du Tribunal Judiciaire de Paris ]

Depuis 2018, dans un contexte particulier de mouvements sociaux qui ont rythmé ces dernières années, les fonctionnaires des services judiciaires ont assuré sans faillir la continuité du service public de la Justice. Ils ont également répondu présents pendant la crise sanitaire mondiale pour tenir les audiences urgentes, sans aucune protection sanitaire au départ et sans invoquer le droit de retrait, avec une entrée en vigueur de la LPJ en plein confinement national, laissant les agents seuls, avec des moyens défaillants et un logiciel pénal nullement à la hauteur de la tâche qui leur incombe.

Dans ce contexte de crise sanitaire et de fatigue physique et psychique, ont été créées, sans aucune concertation ni explication, des audiences les jours fériés suivants : le lundi 5 avril (CRPC), le samedi 1er mai (CI + CRPC), le samedi 8 mai (CI + CRPC).

Lors de l’Assemblée Générale Plénière du 9 juillet 2021, la question de ces audiences correctionnelles créées a été évoquée, et un agent s’est senti mal pendant une prise de parole. Il a dû être aidé pour sortir de la salle et le PCS a été appelé.

Il n’est jamais facile de prendre la parole de façon spontanée en AG face aux chefs de juridiction, où la pression et le stress sont grands. Et cette situation le montre. Mais ce qui est choquant est que l’AG a suivi son cours comme si rien ne s’était passé : peut-être la sidération de la situation empêchait de réagir sur le moment, mais rien n’est retranscrit dans le procès-verbal de ladite AG !

L’absence de réaction immédiate des chefs de juridiction a profondément choqué les agents présents et ceux qui l’ont appris par la suite, qui ne peuvent que constater une fois de plus que la santé des agents n’est rien face à la politique du chiffre, des statistiques, du nombre de déférés…

Au-delà de cette absence de réaction, c’est l’absence de prise en compte de leur parole qui a profondément choqué les agents.

Or, les fonctionnaires de greffe, ces travailleurs de l’ombre, pourtant indispensables au fonctionnement de la justice, portent au quotidien et à bout de bras une justice qui manque de moyens, pour un salaire dérisoire et un profond manque de reconnaissance. Ils font preuve d’un sens du service public admirable. Ces agents tentent de défendre le mieux possible au côté des magistrats, une justice de qualité, accessible, équitable pour tous et protectrice des libertés.

Et c’est dans ce contexte que le greffe correctionnel de PARIS apprend la création d’audience de CRPC les 1er novembre, 25 décembre 2021 et 1er janvier 2022.

Est-il vraiment indispensable de créer ces audiences durant les jours fériés, pour une politique pénale qui est de toujours plus déférer au détriment de la vie personnelle et la santé des agents ? Qu’est ce qui justifie objectivement ces créations qui s’imposent à tous, sans aucune concertation ?

Ce projet de création d’audience n’est pas prévue par l’ordonnance de roulement et n’a fait l’objet d’aucune consultation préalable de l’AG ou à défaut des commissions restreintes comme le prévoit l’article R.212-31 du Code de l’organisation judiciaire. Mais surtout, il intervient dans un contexte de saturation totale des audiences correctionnelles, qui sont surcalibrées, trop tardives et trop fréquentes. Les personnels du Tribunal ont déjà exprimé leur opposition à ces créations d’audience, déjà évoquées en décembre 2019, et l’ont exprimé de nouveau lors des dernières assemblées générales. Force est de constater que ni leur voix ni leur épuisement n’est pris en considération par les chefs de juridiction.

Même si la délinquance parisienne ne tarit pas, la politique pénale ne peut être correctement mise en œuvre avec le peu de moyens alloués, exposant les agents à des risques psycho-sociaux évidents, et les solutions ne peuvent donc être d’incessantes créations d’audience.

LE SERVICE PUBLIC TIENT SUR LE DÉVOUEMENT DE MAGISTRATS ET DE FONCTIONNAIRES DE GREFFE QUI ACCEPTENT TOUT.
MAIS JUSQU’À QUAND ?

En soutien de fonctionnaires de greffe et magistrats du service correctionnel du Tribunal Judiciaire de Paris qui nous ont saisis, les organisations syndicales signent ensemble ce communiqué et demandent d’une part, qu’il soit accordé davantage de considération à leurs personnes et à leur parole plutôt qu’aux chiffres et statistiques et d’autre part, la suppression de ces trois audiences des 1er novembre 2021, 25 décembre 2021 et 1er janvier 2022.




Pour télécharger le communiqué, cliquer sur l’image :