Lettre ouverte à la garde des Sceaux et au secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance

[ Courrier collectif ]

Madame la ministre, garde des Sceaux,
Monsieur le secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance,

Nos organisations tiennent à vous alerter sur la situation des enfants en cette période de confinement. Alors qu’ils sont particulièrement vulnérables et qu’une attention particulière devrait leur être accordée, ils sont en réalité les grands oubliés.
Au risque de leur faire encourir de graves dangers.
En cette période de crise, nous constatons que les rôles et places de chacun des acteurs, tant en protection de l’enfance qu’en matière pénale sont brouillés, tant et si bien que ces missions pourtant essentielles ne sont plus assurées au mieux des intérêts des enfants et des adolescents.
Les ordonnances prises dans le domaine de la justice, en matière civile comme pénale, ne nous semblent pas de nature à résoudre les difficultés, mais au contraire à les aggraver.

S’agissant de la protection de l’enfance vous avez, Monsieur le secrétaire d’État, adressé une lettre le 21 mars dernier aux présidents des conseils départementaux dans laquelle vous avez listé les activités vous semblant devoir être intégrées dans les plans de continuation d’activité des départements : cellule de recueil des informations préoccupantes, interventions de protection de l’enfance à domicile, permanence éducative téléphonique à destination des assistants familiaux, prise en charge au-delà des 18 ans pour éviter toute remise à la rue de jeunes majeurs non autonomes et adaptation des missions de la PMI.

Vous y avez également mentionné la priorité qui devait être donnée à la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers, quand bien même les conditions d’évaluation de leur minorité seraient perturbées, la mise à l’abri devant dès lors être systématique.

Toutes ces préconisations, que nous rejoignons, avaient pour but, selon vos propres termes, de rappeler que « les enfants en danger et les enfants protégés doivent faire l’objet d’une vigilance encore plus forte afin que l’urgence sanitaire à laquelle nous sommes confrontés ne conduise pas à aggraver leur situation ».

Et pourtant …
Nous constatons que les situations sont très disparates selon les départements et dans nombre d’entre eux ces priorités ne sont pas assurées.

Les services de prévention et de protection de l’enfance, que ce soit dans le cadre administratif ou judiciaire, fonctionnent essentiellement par téléphone.
Alors même que ce seul contact par téléphone apparaît insuffisant, il est en outre mis à mal la plupart du temps, par l’absence de matériel professionnel mis à disposition des équipes.

La crise sanitaire conduisant également de nombreux foyers à solliciter des mainlevées de mesures, voire les contraignant à fermer, certains enfants reviennent à domicile dans des conditions mal préparées et sans aucun accompagnement éducatif effectif, ou bien sont brutalement réorientés vers d’autres structures.

L’accès aux soins est mis à mal et les services de la protection maternelle infantile ne paraissent pas partout en état de fonctionner.

En cette période où l’école ne peut que difficilement jouer son rôle habituel de détection des situations de danger, nous nous inquiétons particulièrement des capacités collectives, à les détecter et donc à apporter une protection effective aux enfants concernés.

Enfin, la situation des mineurs isolés étrangers demeure la plus préoccupante, ces derniers ne sachant vers qui se tourner pour être mis à l’abri, beaucoup sont à la rue. Une décision de la CEDH a d’ailleurs été nécessaire pour enjoindre un département à prendre un mineur en charge.

Si nous avons pu espérer que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale apporterait quelques gardes-fous en matière d’assistance éducative, il n’en est rien.

L’ordonnance donne la possibilité aux juges des enfants de prononcer des non-lieux à assistance éducative sans audience et sans recueil des observations des parties. Ainsi, des mineurs isolés étrangers risquent fortement de se voir refuser le bénéfice de mesures d’assistance éducative sans avoir eu l’occasion d’être défendus et de faire valoir leurs observations.

Par ailleurs, nous ne pouvons que déplorer que cette ordonnance oublie l’enfant comme sujet de droit.

Il n’est à nul endroit prévu le recueil de ses observations ou son audition alors-même que l’enfant discernant est partie à la procédure et que son droit à être entendu est un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Pourtant, les décisions qui pourront être prises par les juges des enfants, sans contradictoire réel, et pour de trop longues durées, seront lourdes de conséquences : prolongation des mesures d’assistance éducative de plein droit jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, (sans que l’on sache s’il sera levé le 24 mai prochain) ; renouvellements de mesures pouvant aller jusqu’à neuf mois pour les placements, un an pour les mesures de milieu ouvert, sur le fondement d’un rapport éducatif, dont il n’est en nul endroit prévu les modalités effectives de communication aux parties, ou d’accès au dossier.

Par ailleurs, le recueil de l’avis écrit d’un seul parent, sans prise en compte de l’avis de l’enfant dans les mêmes conditions, vient à l’encontre de l’ exercice de l’autorité parentale conjointe, qui pourtant est et doit rester la règle, à l’exception de situations particulièrement graves (telles les violences avérées d’un parent) .

L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits des parties.

Concernant la prise en charge de la délinquance des enfants et des adolescents, nous faisons malheureusement des constats tout aussi pessimistes.

En effet, la grande majorité des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse n’ont pas les moyens matériels et techniques permettant un accompagnement à distance, dans le respect des mesures sanitaires, et le maintien d’un lien effectif et suivi avec les enfants et les adolescents, pour lesquels l’entretien uniquement téléphonique s’avère parfois totalement inadapté.

En détention, la situation apparaît dramatique et force est de constater l’insuffisance des moyens de protection pour éviter une propagation du virus – les gestes « barrière » étant très difficiles à respecter – , une promiscuité en promenade, des activités quasi à l’arrêt et une privation complète des contacts avec les familles, ce qui rend l’enfermement d’autant plus insupportable.

Si des structures de type foyers ou centres fermés ont vu leurs effectifs diminuer pour des solutions alternatives, pour autant, les lieux d’incarcération des mineurs sont encore trop pleins, comme en témoignent les chiffres de la région Île de France, où les établissements accueillant des mineurs étaient à saturation jusqu’il y a quelques jours et ne se vident que très lentement.

Les mineurs isolés étrangers sont particulièrement touchés par cette situation carcérale lourde, subissant parfois des transferts d’établissement intempestifs et obtenant peu de mises en liberté, faute de solutions alternatives adaptées en cette période de crise sanitaire.

L’ordonnance du n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale accroît ces difficultés, en permettant notamment une prolongation de droit de la détention provisoire pour les plus de 16 ans encourant plus de sept ans d’emprisonnement.

Nous déplorons que cette ordonnance n’ait pas davantage fait primer l’éducatif, ni garanti la spécificité et la moindre sévérité pour les enfants par rapport aux majeurs. Il est à notre sens très préoccupant et peu compréhensible que pour plusieurs dispositions (prolongation de garde à vue qui peut intervenir sans présentation devant le magistrat compétent, prorogation automatique de la détention provisoire), certains mineurs puissent se voir appliquer les mêmes règles que les majeurs, règles pourtant particulièrement dérogatoires aux droits de la défense et aux libertés. Il est à noter d’ailleurs que toutes les mesures plutôt favorables portant sur les remises de peine concernent en réalité peu de mineurs, qui restent à 80 % placés sous le régime de la détention provisoire.

Par ailleurs, les seules règles spécifiquement prévues pour les mineurs, à savoir la prolongation automatique des mesures de placement (pour 4 mois), et des mesures éducatives (pour 7 mois) sans débat, ne garantissent pas le respect des droits particulièrement en ce que les placements en centre éducatif fermé n’ont pas été explicitement exclus et que ces durées sont excessives. Nous nous interrogeons ici aussi sur la notion de rapport éducatif au regard de l’absence de matériel professionnel d’une grande partie des personnels de la PJJ sus-mentionnée.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, nos organisations espèrent que de nouvelles mesures, que ce soit sur un plan matériel ou juridique, pourront être rapidement prises pour garantir la protection des enfants et des adolescents durant cette crise sanitaire.

Nous appelons également à en tirer d’ores et déjà des enseignements pour l’avenir, cette crise étant venue confirmer et mettre au jour, le délabrement général des services de prévention, de protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse sur lequel nous vous avions plusieurs fois alertés.

Si les places en foyer n’étaient pas aussi difficiles à trouver et suffisamment diversifiées en temps normal, si les moyens humains, matériels et techniques de tous les acteurs étaient suffisants, peut-être aurions-nous pu éviter une telle imprévisibilité.

Aussi, nous espérons que cela sera le chantier prioritaire de l’après-état d’urgence sanitaire, plutôt qu’une réforme non consensuelle du droit pénal des mineurs, notamment en redéployant les moyens substantiels actuellement dévolus aux lieux privatifs de liberté vers les services de prévention, de la protection de l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et les tribunaux pour enfants.

En vous remerciant de l’attention portée à ce courrier, nous vous assurons, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, de notre plus haute considération.

Les signataires :
Avocats conseil d’entreprise (ACE), Barreau de Paris, Confédération générale du travail (CGT), Conférence des bâtonniers, Conseil national des barreaux (CNB), Convention nationale des associations de protection de l’Enfant (CNAPE), Fédération des conseils de parents d’élèves Paris (FCPE75), Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), Fédération SUD SANTE SOCIAUX, Fédération syndicale unitaire (FSU), Ligue des droits de l’homme (LDH), Observatoire international des prisons Section Française (OIP-SF), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – PJJ (SNPES-PJJ/FSU), Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP-FSU), la FSU territoriale (SNUTER-FSU), Solidaires Justice, Union syndicale Solidaires.

télécharger la lettre ouverte :

cliquer sur l’image pour télécharger la lettre ouverte


COVID-19 : un accident du travail, de service ou une maladie professionnelle ?

[ une fiche « la petite BAO » ]

De nombreuses équipes syndicales s’interrogent sur l’attitude à avoir face à des collègues de travail qui tombent malades après avoir été contaminé·es par le coronavirus. Ces arrêts de travail peuvent-ils être considérés comme un accident du travail/de service ou une maladie professionnelle ?
La question est totalement légitime pour des salarié·es contraint·es de continuer à exercer leur activité et qui craignent d’être contaminés alors que le reste de la population est confinée à domicile pour éviter la propagation de l’épidémie. Le ministre de la Santé a d’ores et déjà annoncé pour les soignants qui tombent malades que « le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle », il faudra que cela soit confirmé par les faits, mais qu’en sera-t-il des autres travailleuses et travailleurs ?
Pour répondre à ces questions il faut se reporter aux textes qui encadrent les notions d’accident du travail/de service et de maladie professionnelle et déterminer ensuite une stratégie.

Retrouvez les stratégies individuelles et collectives à développer dans la fiche dédiée éditée par « Solidaires – la petite boite à outil » :

cliquer sur l’image pour télécharger la fiche

Le temps est-il vraiment aux sanctions ?

[ Communiqué Solidaires Fonction Publique ]

Plutôt que de mettre toute son énergie dans la santé et la sécurité des agent·es dans la période de crise sanitaire que nous connaissons, alors même que les plans de continuité d’activité (PCA) sont encore trop imprécis, que leurs déclinaisons dans l’ensemble des secteurs et collectivités sont faites d’injonctions contradictoires, contraignant de trop nombreux/euses agent·es à se rendre physiquement sur les lieux de travail, alors que les moyens de protection collective et individuelle sont toujours absents pour une majorité d’agent·es et pas uniquement dans le secteur de la santé, le secrétaire d’État à la Fonction publique transmet des notes aux employeurs publics, souvent même sans en informer les organisations syndicales représentatives. Ainsi, une note a été publiée le 31 mars par la DGFAP intitulée « Quelles mesures possibles en cas de refus de l’agent de prendre son service dans le cadre du PCA ou d’un recours abusif au droit de retrait ? »

Olivier Dussopt et la DGAFP mettent une attention toute particulière à se préoccuper des sanctions à prendre contre les agent·es qui ne satisferaient pas à leur devoir d’obéissance. Cela en dit long sur la confiance et dans une certaine mesure le manque de considération dans l’engagement pourtant sans faille des agent·es publics, qui pour nombre d’entre eux/elles risquent leur santé pour assurer la continuité de l’action publique.

Faut-il rappeler par ailleurs que les agent·es publics sont depuis de nombreuses années sacrifié·es et avec elles et eux l’ensemble des services publics, sur l’autel du dogme néolibéral et l’austérité budgétaire.

Ce sont des moyens de protections et des consignes claires sur les missions essentielles dont les agent·es ont besoin. Pas des menaces. Solidaires condamne avec la plus grande fermeté de tels agissements et exige que la même énergie soit mise en œuvre pour que les employeurs publics satisfassent à leur obligation générale de sécurité en matière de santé au travail, avec pourquoi pas, des sanctions à la clé de leurs manquements en la matière !

Solidaires Fonction Publique – 1er avril 2020

cliquer sur le lien pour télécharger le communiqué

Les fonctionnaires face au COVID-19 : pas de restriction au droit de retrait !

[ Communiqué Solidaires Fonction Publique ]

La DGAFP a adressé une note à l’ensemble des ministères et autres employeurs publics concernant l’exercice du droit de retrait dans la Fonction publique.

Cette note accompagne une communication gouvernementale visant à décourager les agent·es publics (tout comme les salarié·es du privé) d’exercer ce droit pourtant reconnu par la loi, inhé- rent à la nature même de tout contrat de travail ou statut du fonctionnaire qui crée un lien de subordination entre l’employeur et tout travailleur.

Mais cette note fait une interprétation très discutable de ce qu’est le droit de retrait et des condi- tions dans lesquelles il peut être exercé, en faisant sciemment abstraction du volet important de la prévention en matière de santé au travail : celle des obligations des employeurs !

Dans la situation que nous connaissons aujourd’hui, n’en déplaise à la DGAFP, les agent·es à leur poste, en raison du plan de continuité de l’activité, peuvent estimer qu’ils sont dans une situation de danger grave et imminent. Si l’employeur ne met pas en place les mesures permettant de faire cesser ce danger, pour protéger leur santé d’une mort possible (il y a déjà des gens qui sont morts en ayant contracté la maladie dans le cadre de leur travail), ils et elles sont en droit d’exercer leur droit de retrait.

Non les gestes barrières ne sont souvent pas suffisants! En particulier quand font défaut les moyens à mettre en œuvre (gels, savons, masques, nettoyage…). On ne peut par ailleurs faire retomber sur les agent·es la responsabilité de l’obligation de sécurité qui relève de la seule responsabilité de l’employeur et constitue une obligation de résultat !

Par ailleurs, personne n’imaginait que la DGAFP avait au sein de ses équipes des infectiologues et des législateurs. A lire la note, le Covid-19 semble relativement facilement évitable en ne restant pas à proximité ou en contact prolongé. Si la situation était si simple, la population de notre pays ne serait pas confinée pour une durée approximative de 6 semaines…

Solidaires exige que la DGAFP arrête de contraindre les agent·es à prendre des risques avec leur santé. L’administration et l’ensemble des employeurs publics doivent être exemplaires et mettre tout en œuvre pour assurer la sécurité et la santé de tou·tes, et seules les missions essentielles doivent être exercées dans la période.

Dans le cas contraire, Solidaires appelle les agent·es qui constatent que leur employeur n’a pas rempli ses obligations définies aux articles L. 4121-1 et 4121-2 du Code du travail à mettre en œuvre leur droit de retrait !

Solidaires Fonction Publique – 25 mars 2020

cliquer sur l’image pour télécharger le communiqué

Le coronavirus et le capitalisme : deux épidémies à combattre !

Le coronavirus est une menace et un danger et chacun-e en prend la mesure au fur et à mesure de la propagation du virus de par le monde. Mais il est légitime d’interroger la réaction d’Emmanuel Macron et ses annonces lors de son intervention télévisuelle du jeudi 12 mars. Nous entrons dans une nouvelle période. Lutte contre le coronavirus ou régressions sociales, ce n’est pas une alternative. Nous continuerons à combattre les politiques régressives : réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites…et à refuser la répression et les violences policières. Nous demandons le même déploiement de moyens pour faire face à l’urgence sociale et écologique. Ni coronavirus, ni union sacrée, la lutte continue contre tout ce qui détruit nos existences. Solidarité avec les victimes du coronavirus, solidarité avec toutes celles et ceux que ce système attaque ; indéfectiblement. La lutte ne s’arrêtera pas avec la maladie. Nos combats pour un monde où la solidarité, la protection sociale et les services publics sont les meilleurs remparts contre les fléaux et l’injustice, sont plus que jamais légitimes.

Retrouvez au lien ci-dessous toutes les rubriques consacrées à la crise du COVID-19 sur le site de l’union Solidaires :
https://solidaires.org/Le-coronavirus-et-le-capitalisme-deux-epidemies-a-combattre-19573

cliquer sur l’image pour ouvrir le lien